Légende des meilleurs faucheurs

Présentation

L’histoire suivante est à situer à une époque où les instruments agricoles étaient primitifs : en pierre, en os, en bois grossièrement taillé. Les lames de silex étaient tranchantes, mais fragiles et petites. Ainsi en étaient-ils des faucilles pour la coupe du foin (le foin servait principalement à nourrir les animaux pendant l’hiver).

C’est donc à cette époque où le travail du foin était dur que l’histoire qui suit commence.

L'histoire

Un paysan qui fanait (retourner l’herbe fauchée pour la sécher) dans un champ proche d’Ernée, préoccupé par l’orage qui menaçait, invoqua Satan.

« Celui-ci ne se fit pas attendre. Sous la forme d’un petit homme noir, il sortit de terre et dit au campagnard :
- " Tu m’as appelé, que me veux-tu ?
- Ah ! Monsieur le Diable, c’est pour que vous m’aidiez couper mon foin; je ne puis en venir à bout.
- Je veux bien : demain matin ta noë sera fauchée, mais à une condition. C’est que dès que le coq aura chanté, le premier être vivant qui entrera dans la noë, sera à moi.
- Soit, dit le pauvre paysan. Topez-là, Monsieur le Diable, Marché fait. "

Le bonhomme s’en retourna donc à sa maison, content de n’avoir plus à s’inquiéter de la coupe de son foin, mais au fond, inquiet et penaud, car du fait de son pacte une créature du bon Dieu deviendrait la propriété du diable : ce qui est un très gros péché.

Riant d’un œil et pleurant de l’autre, dit le chroniqueur, il alla conter la chose à sa femme, fine mouche, et par-dessus le marché un peu sorcière, donc un peu familière avec le diable.
- " T’es fou, mon pauvre homme, de te matagraboliser la cervelle pour si petite chose ! Ma mère disait bien : Tous les hommes sont bêtes, et il y a plus d’esprit dans notre petit doigt que dans toute leur grossière personne. Écoute bien ce que je vas te dire : Vers le mitan de la nuit, tu prendras notre chat; tu l’entortilleras dans un sac; tu monteras sur la grosse émousse qui est dans la haie de la noë. Tu chanteras comme le coq, haut et clair, et puis tu jetteras le chat dans la noë... “.

Ainsi fut fait. Sur les trois heures après minuit, notre homme, huché sur son émousse, se met à crier : “Cocoriko ! Cocoriko ! " avec une telle assurance que tous les coqs du voisinage répondent aussitôt et se renvoyent le Cocoriko traditionnel.

Le diable qui, depuis le commencement de la nuit, travaillait avec une armée de diablotins à faucher le foin, s’arrêta court et s’écria : “Mes petits gaillards, sauvons-nous, sauvons-nous vite, voici le matin !
- Je ne vois pas encore à l’orient la robe blanchissante de la demoiselle Aurore”, dit un des diablotins qui se piquait de savoir littéraire. Le madré paysan avec plus d’ardeur que jamais, lançait de nouveaux cocorikos.
- " N’entends-tu pas les coqs, imbécile ! Allons, en route et vivement ! "

Quand la troupe infernale passa près de l’émousse, le paysan ouvrit son sac et jeta le matou dans la noë : “Voilà ton salaire, dit-il au Diable.” Celui-ci proféra un gros juron: “Nous sommes volés, une fois de plus... Toi du moins, maudit chat, tu n’échapperas pas à ton sort. De ta peau, je ferai un manchon pour Madame Proserpine et nous le mangerons en gibelotte “.

Dans leur hâte et leur fureur d’avoir été roulés, les biablotins avaient laissé sur place leurs instruments : de bonnes et solides faulx en acier.

Le paysan qui du haut de son émousse avait remarqué leur manège, se hàta d’aller chercher aussitôt ses voisins : “Bonnes gens, venez vite; nous pourrons maintenant faucher notre foin sans trop de peine : les bons outils ne manqueront pas ! "

Et les voilà tous à besogner avec les faulx du diable. Mais leurs premiers essais ne furent pas heureux : tenant trop en bas la pointe de ces faulx, à chaque coup ils s’enfonçaient en terre et déjà ils grommelaient, quand une alouette qu’ils avaient éveillée, s’envola vers le ciel en leur criant : Oh ! le talon ! Oh ! le talon ! Un des paysans qui comprenait le langage des oiseaux, dit alors à ses compagnons : “L’alouette, notre bonne amie, nous dit que pour bien faucher, il faut appuyer sur le talon de la faulx et non sur la pointe, comme bêtement nous le faisions. "

C’est ce qu’ils apprirent vite à faire et à bien faire. En sorte que, depuis ce temps, les gars d’Ernée ont la réputation d’être les meilleurs faucheurs du monde, les plus avantageux à la besogne.

Et c’est pourquoi, quand on en vint à évaluer la superficie des prés en homme, d’après ce qu’un faucheur pouvait abattre en une journée, il se trouva que l’hommée d’Ernée dépassa de beaucoup l’hommée des pays d’amont et d’aval, et même la grande hommée de Bretagne. Ce qui n’est pas un mince honneur pour notre pays d’Ernée ! »


L’histoire est rapportée dans ses termes exacts, tels que publiés dans l’almanach de 1938, l’annuaire des Cantons d’Ernée, Chailland, Landivy, Gorron, Mayenne Ouest et Environs dans un article nommé “Une antique Légende du Pays d’Ernée”.

Sources

Sur la légende “les meilleurs faucheurs” :

  • almanach de 1938, l’annuaire des Cantons d’Ernée, Chailland, Landivy, Gorron, Mayenne Ouest et Environs, 12ème année, “Une antique Légende du Pays d’Ernée”

“Au Pays d’Ernée” ( www.renoulin.fr/aupaysdernee ) par Christian Renoulin.

 
 


 
histoire/legendes/meilleursfaucheurs.txt · Dernière modification: 2008/10/05 21:29
 
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